Johann au Festival Pianos de Kinshasa

Musique en dialogue Congo / Occident

Octobre 2022

Johann au Congo…
Si cette formulation se veut une référence à l’album d’Hergé, la démarche n‘a pourtant aucun point commun avec le regard encore colonialiste que portait l’auteur Belge sur le Congo. Depuis 1960 et l’indépendance de la RDC, tant de chemin a été parcouru … et tant reste à parcourir.
Sur la suggestion de David Shongo, directeur artistique du Festival Pianos de Kinshasa, je me suis intéressé à l’œuvre du compositeur Congolais Joseph Kiwele, actif dans la province de Lubumbashi (Katanga) au cours de la première partie du XXème siècle. Après avoir écouté l’ensemble des enregistrements disponibles de ce compositeur, la majorité pour chorale a capella, j’ai transcrit quelques unes de ses œuvres pour piano solo. Puis, j’ai imaginé le dialogue qui n’a pas eu lieu entre ce compositeur et des grands maîtres de la musique occidentale, en Europe et aux Etats-Unis.

Qu’aurait fait Johann-Sebastian Bach d’une mélodie de Kiwele ? Un sujet de fugue pardi !
Et Franz Liszt ? Une paraphrase bien sûr ! Joplin en aurait tiré un rag-time, Satie une Gnossienne, Debussy un prélude… Hormis pour Bach, dont j’ai imité de style, je suis parti d’œuvres préexistantes de ces compositeurs, que j’ai modifiées pour y intégrer un je-ne-sais-quoi de Kiwele : ajout de contrechants, modifications dans le thème ou l’harmonie, insertion de transitions de mon cru… 
Tout est factice, rien n’a été originellement écrit ainsi ! Et pourtant … les ponts entre ces différentes musiques sont possibles, parfois même évidents. Et l’atmosphère de la ville de Kinshasa a modifié mon jeu et inspiré de nouvelles expérimentations au fur et à mesure de mes rencontres et de mon écoute de la musique congolaise.

Deux concerts sont venus concrétiser cette démarche. Le premier, de format court, a eu lieu à la terrasse d’un café de la commune de Lingwala, en pleine rue, au cœur de la ville. A cette occasion, on peut entendre l’animation de la fin d’après-midi, les embouteillages et même le convoi présidentiel qui passe toutes sirènes hurlantes. Curieusement, je ne l’ai absolument pas vécu comme une gêne mais plutôt comme une source d’inspiration pour jouer avec les sons de la ville. Le deuxième concert, plus ambitieux, a eu lieu dans la belle salle de la Wallonie-Bruxelles. Il s’agit d’un concert plus classique dans son format, avec un pianiste isolé sur scène et une salle attentive. Je remercie infiniment Willy Illumbo d’avoir accepté de commencer le spectacle avec moi en m’accompagnant de ses instruments du Katanga, et David Shongo de m’avoir laissé improviser sur son court métrage présentant les conséquences écologiques de l’exploitation minière à l’Est du Congo. Je ne possède malheureusement pas d’enregistrement pour ce deuxième concert. 
En clotûre du festival, j’ai eu la joie de remporter le Prix du Jury, et l’équipe du festival m’a par la suite invité à revenir animer des ateliers pédagogiques lors de son édition 2023.

photos : ©festivalpianosdekinshasa